Cherche à acheter une âme. Prêt à donner dix mille Euros. Âmes saintes s'abstenir. Contacter Sir Saturne, 999 rue des brûlés.
— Dix mille ?
— Oui.
— Je suis curieux de savoir en quoi cela consiste.
— Moi non. Je me suis renseigné. Ce Saturne est un médium. C'est forcément une arnaque. Tu va là-bas, il consulte ton âme, prétend qu'elle est sainte, la refuse, et te propose ses services. Histoire que tu ne sois pas venu pour rien...
Malgré les doutes légitimes de Bernard, son ami, malgré, aussi, le coté extraordinaire de cette annonce, André avait, tout de même, envie d'essayer. Bernard était venu le voir ; voilà maintenant des années qu'ils ne s'étaient plus rencontrés. Ils avaient parlé du passé, et des excellents souvenirs qu'ils avaient en commun. Puis, au détour de la conversation, Bernard avait sorti de son sac ce magazine de petites annonces.
Il le lui avait lu sur le ton de la plaisanterie, mais après tout, que risquait-on à aller chez ce médium ? Au pire, il irait pour rien. L'homme refuserait son âme, et, effectivement, enchaînerait sur ses onéreux services d'escroc.
Oui, sans aucun doute, c'est ainsi que cela allait se passer. Mais, ne serait-ce que pour se rire de ce Saturne... quelque chose, il ne savait quoi, le poussait à tenter le coup. Il s'était toujours demandé à quoi pouvait ressembler l'intérieur d'un cabinet de médium. S'imaginant des draps, aux figures ambiguës et passionnantes, posés au mur, et une ambiance sulfurique proche de l'au-delà, il n'avait pourtant jamais franchi une porte de médium, persuadé que ce simple geste était capable de vider son compte en banque.
Mais cette petite annonce avait cela d'intéressant qu'il n'était pas dit "Payez tant la minute, et vous aurez votre avenir" mais "recevez dix mille Euros". Or, André, comme beaucoup, préférait recevoir de l'argent plutôt que d'en donner... Si Bernard ne lui avait pas lu cette annonce, bien sûr, il ne l'aurait jamais remarqué. Mais, à présent...
Après mûres réflexions, il s'était décidé à satisfaire sa curiosité. C'est pourquoi, les poches vides pour ne pas être tenté, il se rendit à la rue des brûlés.
Entrant au numéro précisé sur l'annonce, il fut accueilli par un homme aux yeux entièrement blancs. Il devait être aveugle, certainement, mais il se déplaçait et fixait le regard d'André comme une personne normale. Pourtant, cet homme était loin d'une "normalité". En plus des yeux, qu'il avait d'abord remarqué, le petit personnage, habillé de noir de haut en bas, était bossu, et sa peau... était à peine supportable. Tout son visage avait été brûlé, ainsi que ses bras, qui sortaient de ses manches courtes.
Quant au lieu, il était comme André l'avait imaginé. Un peu magique, un peu enchanteur, un peu démoniaque. Les tentures des murs semblaient changer de ton et d'aspect au fur et à mesure de la progression dans le couloir interminable où l'entraînait l'aveugle. Enfin, on avait l'impression que murs, plafond et sol, ondulaient langoureusement, comme s'ils vivaient. Le tout était en harmonie avec les sensations qu'éprouvait le visiteur. Il avait envie de fermer les yeux et de se laisser dériver par les senteurs confuses de fleurs inconnues et de piments jamais goûté à ce jour.
Mais il n'était pas au bout de son émoi. Son guide tira devant lui un rideau, posa une dernière fois ses yeux profonds sur ceux d'André et tendit le bras derrière le rideau, pour l'orienter vers l'antre de son maître. Lorsqu'il vit celle-ci et celui-ci, André comprit que le couloir n'avait été que l'antichambre de sa nouvelle vie.
On ne lui avait pas posé une seule question, comme si l'aveugle et son maître savaient pourquoi il venait... L'heure suivante avait été d'une saveur sans nom. La salle, imbibée de fumée, lui procurait un bien-être qu'il ne comprenait pas.
Il se souvenait s'être assis, et l'homme, dont seuls étaient visibles, dans le nuage de fumée, des yeux d'un rouge intense et changeant, s'était placé derrière.
Il croyait se souvenir de longs doigts, posés sur son crâne. Son cerveau semblait s'être vidé, disparaissant dans les mains du maître. Puis une voix avait dit qu'il n'était pas saint et qu'il pouvait donc entrer dans les rangs de l'armée de Satan.
Le reste n'avait pas d'importance. Son maître avait posé une liasse de billets sur la table. C'était sa moitié du contrat. Il allait devoir s'en servir pour l'œuvre de son maître.
Sa première mission fut la même que celle qui avait été donnée aux autres hommes ayant vendus leur âme au maître. Cette mission était très simple. Enfantine.
Il était rentré chez lui, ce soir-là. Il avait attendu que sa femme revienne de son travail. Ils avaient discuté, quelques instants. Puis il avait sorti un magazine de petites annonces. Il avait cité l'une d'elles.
Cherche à acheter une âme. Prêt à donner dix mille euros. Âmes saintes s'abstenir. Contacter Sir Saturne, 999 rue des brûlés.
— Dix mille ? avait demandé sa femme.
— Oui.
— Je suis curieuse de savoir en quoi cela consiste.
— Moi non, répliqua André. Je me suis renseigné. Ce Saturne est un médium. Il doit s'agir d'une arnaque. Tu va là-bas, il consulte ton âme, prétend qu'elle est sainte, la refuse, et te propose ses services. Histoire que tu ne sois pas venu pour rien...
— Mmouais... n'empêche, gagner dix mille sans rien faire, ça me dit bien...
— Bof...
— J'ai bien envie d'essayer.
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